Double énigme [PV Lester Bateman]

Lexa se réveilla d'un coup, comme on s'arrache brutalement du sommeil après avoir fait un mauvais rêve. Ses grands yeux verts papillonnèrent quelques secondes, le temps de s'accoutumer à la demi-obscurité. Elle se crut d'abord dans sa chambre, mais la pièce était trop vaste. Une vague d'interrogations la submergea aussitôt et son coeur commença à s'emballer. Bon Dieu, où est-ce qu'elle pouvait bien se trouver ? Sa main se plaqua automatiquement contre sa bouche lorsqu'elle découvrit un corps endormi à côté d'elle. Une observation plus poussée lui apprit que le corps appartenait à un individu de sexe masculin, la trentaine. Plutôt pas mal. Le seul problème, c'est qu'elle n'avait aucun souvenir d'avoir passé la soirée avec. En réalité, elle n'avait aucun souvenir de cette journée du tout, et c'était encore pire. Elle souleva légèrement le drap pour vérifier s'ils étaient vêtus ou non, et soupira de soulagement lorsqu'elle se vit habillée de son habituel pyjama chemise-pantalon de soie mauve. Le gars à côté d'elle avait également quelque chose sur le dos, ce qui la rassurait un tantinet. Le réveil posé sur la table de chevet à côté d'elle indiquait 22 heures 12, ce qui expliquait l'obscurité naissante. La pièce était magnifiquement décorée, et semblait appartenir à un château ou au moins, un manoir. Mais qu'est-ce qu'elle foutait donc dans un manoir ?!

La jeune femme s'assit sur le rebord du lit et se prit la tête entre les mains, tentant de rassembler ses idées et si possible, ses souvenirs.

LA RANÇON !

Mais oui... Elle se revit au volant de sa voiture, en train de se rendre à ce rendez-vous fixé par le mystérieux inconnu qui avait menacé de ruiner sa réputation en révélant à tout le monde les quelques petits incidents qu'elle avait dû causer pour sauver sa dignité. Rien de bien méchant, bien sûr... elle n'avait fait que détruire la vie de quelques personnes peu importantes, et il faut dire que celles-ci l'avaient bien cherché. Il y avait d'abord eu cette ado boutonneuse qui l'avait battue à une compétition d'échec... puis ce prof qui l'avait humiliée devant la classe. Oui vraiment, elle n'avait fait que rétablir la justice. Quoi qu'il en soit, cet inconnu qui lui avait donné rendez-vous avait établi la liste de tous les petits vices de Mlle Adler et lui avait demandé 5000 euros en échange de son silence. C'est avec 10 000 euros en poche que la demoiselle s'était rendue dans cet étrange entrepôt désert. Et c'était là que... c'était là qu'elle avait senti deux bras l'agripper et lui plaquer un mouchoir sur le nez.

Elle jeta un regard horrifié vers le lit où dormait encore le jeune homme. Ce salaud avait dû bien profiter d'elle... divers sentiments s'emparèrent d'elle immédiatement : dégoût, honte, colère... Le chandelier en or massif posé sur la commode attira soudain son attention. Se levant sur la pointe des pieds, elle saisit l'objet d'une poigne de fer et retourna vers le lit. Ce dégueulasse allait payer pour ce qu'il lui avait fait. Son bras commençait à souffrir tant l'objet était lourd, mais c'était probablement le seul qui pourrait faire office d'arme dans cette chambre luxueuse. Le sang de Lexa se glaça dans ses veines lorsque le bois craqua sous ses pas. Eh merde... manquerait plus qu'il se réveille avant qu'elle ait eu le temps de lui asséner le coup fatal. La jeune femme relâcha les muscles dans son bras. Entraîné par le poids du chandelier, celui-ci fut propulsé vers l'avant, droit vers la tête de l'inconnu...

- Putain, tu veux ma mort ou quoi ?

Lexa se sentit défaillir, entraînée par le poids du lourd chandelier. Et elle avait raté le coche. Merde. Maintenant, le type était réveillé et elle allait devoir mettre au point une nouvelle stratégie pour le mettre hors d'état de nuire. Dans sa jeunesse, la petite Adler avait suivi quelques cours de taekwondo sur les conseils de Papa, histoire qu'elle puisse toujours se défendre en cas de problème. La demoiselle ne s'était pas entraînée depuis un bon bout de temps mais bon... quand faut y aller, faut y aller. Et là visiblement, fallait y aller ! Sauf que le gars en face d'elle avait l'air d'être aussi paumé qu'elle, vu son regard étonné qui semblait découvrir les lieux.

- J’ai pas le souvenir qu’on a…enfin, tu sais…On est où là ? C’toi qui m’as amené ici ?

Il fallut quelques secondes à l'Allemande pour recoller les pièces du puzzle. Ce mec n'avait pas du tout l'attitude du ravisseur qui l'aurait entraînée ici pour abuser d'elle. Après, il était peut-être juste en train de tenter de la déstabiliser, le temps de se lever et de l'attaquer par surprise. Ouais... ça devait être ça. Le salaud. Lexa recula de quelques pas. Le chandelier gisait à côté du lit. Même pas la peine d'y penser, elle allait devoir se démerder avec ses souvenirs de prises et de coups de pieds fatals. Comme le gars continuait de la fixer, elle eut enfin l'idée de répondre à sa question :

- Oh s'il te plaît, épargne-moi le coup de celui qui fait l'innocent. Mon fric te suffisait pas, c'est ça ? Connard !

Un léger accent s'était glissé dans ses mots, mais il fallait avoir l'oreille bien entraînée pour le déceler. Son instinct lui dictait de balancer son poing dans le nez du type mais quelque chose semblait l'en empêcher. Et si la situation n'était pas celle qu'elle paraissait être ? Et s'il ne savait vraiment pas plus qu'elle ce qu'ils faisaient tous les deux ici, dans cette chambre (d'hôtel ?) de luxe. La raison et l'intuition qui se battent en duel, un classique. Lexa croisa les bras sur sa poitrine et se mit en mode : « détecteur de mensonges ». Son père (encore lui) lui avait appris à lire le langage du corps afin de vérifier la sincérité de quelqu'un. La voix aussi et surtout le ton pouvaient trahir les secrets les plus subtils. Elle attendit patiemment la réaction du brun, la vue et l'ouïe en alerte.

- Connard !

Mon sang ne fait qu’un tour, genre grand huit, mais quel tour de manège ! Cependant, je n’ai pas la lucidité nécessaire pour répliquer de manière subtile et intelligible. J’suis à des années lumière d’ici. Peut-être que je m’imagine descendre les montagnes russes à dos de chèvre. Je grommelle vaguement un :

« On s’calme chérie, j’sais pas d’quoi tu parles… »

Elle me fiche la trouille la meuf. Étant encore partiellement dans une espèce de nuage post-atomique, je tente tant bien que mal de ne pas m’écrouler par terre. Ma jambe droite a la tremblote. Je ferais mieux de m’asseoir, mais la demoiselle me fixe comme si j’étais le Grand Méchant Loup. Ben voyons. Je ne suis certes pas fringuant au réveil, mais j’crois pas que j’ai le profil d’un tueur en série, même si ma mère vous dirait le contraire.

Si on daigne utiliser ses méninges à autre chose qu’à insulter le commun des mortels, on se dirait ceci : si vraiment je lui avais voulu du mal, je ne m’en serais pas privé et j’aurais agi alors qu’elle traînait un sommeil lourd. Or, si j’me rappelle bien, c’est elle qui m’a agressé ! Donc c’est elle la plus potentiellement dangereuse. Elle est quand même bien audacieuse la mamzelle de m’accuser pour des crimes que je n’ai point commis.

« Tout doux, darling. Tu vois bien que j’suis pété et pas en mesure de te faire quoi que ce soit auquel tu n’consentirais pas. Laisse-moi te dire deux mots. Au lieu de s’prendre la tête, on devrait d’abord comprendre c’qui s’passe ici. Parole de scout que j’te ferai aucun mal, capiche ? »

La voix de la raison. Et un pauvre mot d’italien censé rehaussé mon intellectualité défaillante. J’suis pas certain d’être le type le plus convaincant sur terre, mais j’sais une chose : qu’on m’éloigne de cette furie et le plus vite sera le mieux si vous voulez mon humble avis. J’ai pas envie de l’avoir sur le dos la gosse. Oh me regardez pas comme ça, elle vous taperait tout autant sur le système, croyez-moi. En tout cas, l’énigme reste entière. A vous d’jouer Sherlock. Je commence à décuver, mais ce n’est pas très glorieux, sûr qu’elle n’a pas vu mon meilleur profil. Enfin, on fait c’qu’on peut comme on peut. Je m’attends déjà à la deuxième vague du séisme ambulant. Aïe. Mais si elle me cherche, elle va me trouver.

Le mystérieux inconnu parut surpris par tant d'hostilité. Une confusion authentique était perceptible dans ses marmonnements.

- On s’calme chérie, j’sais pas d’quoi tu parles…

Une pause dans son discours. Il ressemblait à la plupart des types qu'elle avait côtoyés. Plutôt beau gosse la journée mais la tête dans les nuages (pour ne pas dire autre chose) le matin. La voix enrouée, les cheveux en bataille et probablement une haleine de chacal. C'est bien pour ça qu'elle évitait de se réveiller aux côtés de ses conquêtes. Généralement, elle se glissait hors du lit à l'aube, trottinait jusqu'à la salle de bain pour réparer les dégâts causés par la nuit sur son doux visage, puis allait lire au salon ou à la cuisine dans sa robe de chambre blanche en soie, sexy à souhait. L'homme se réveillait deux ou trois heures plus tard, et lui posait généralement l'habituelle question, qui renforçait son ego déjà monstrueux : « mais comment tu fais pour être si fraîche dès le matin ? ».

- Tout doux, darling. Tu vois bien que j’suis pété et pas en mesure de te faire quoi que ce soit auquel tu n’consentirais pas. Laisse-moi te dire deux mots. Au lieu de s’prendre la tête, on devrait d’abord comprendre c’qui s’passe ici. Parole de scout que j’te ferai aucun mal, capiche ?

Lexa relâcha sa position et cligna des paupières. Bon, décidément, il paraissait vraiment sincère. D'ailleurs, elle n'en avait douté qu'à cause de sa méfiance naturelle. Son instinct, lui, avait bien capté depuis le début que ce type ne savait pas plus qu'elle où ils se trouvaient et pour quelle raison on les avait mis dans ce lit ensemble. Elle se dirigea donc vers la commode pour allumer la lampe trônant à côté du chandelier qui gisait désormais quelque part au pied du lit. Une lumière dorée inonda la pièce, révélant à l'un les traits de l'autre. Un regard jeté vers le miroir de l'armoire apprit à l'Allemande que ça ne devait pas faire très longtemps qu'ils étaient endormis. Elle connaissait sa tête-de-réveil par cœur, et là, il fallait avouer qu'elle se trouvait plutôt jolie. Pour cause, ses cheveux portaient encore les traces de boucles qu'elle s'était faites avant de se rendre au rendez-vous avec l'inconnu, et ses yeux étaient encore surlignés de l'eyeliner qu'elle y avait appliqué. Rassurée sur son apparence, la demoiselle reporta son attention sur l'énergumène qui émergeait dans son lit.

- Tu ne sais pas non plus où on est ? lui demanda-t-elle d'un ton désespéré. Je n'ai aucun souvenir d'avoir atterri ici... ni de t'avoir rencontré. Je devais aller voir une connaissance et lorsque je suis arrivée sur les lieux du rendez-vous... quelqu'un m'a agrippé par derrière pour me forcer à respirer à travers un mouchoir probablement imbibé de chloroforme. J'ai perdu conscience et... mes souvenirs s'arrêtent là. Je m'appelle Lexa, au fait. Toi, c'est quoi ton histoire ?